Des scientifiques américains manifesteront vendredi dans 32 villes aux États-Unis contre les compressions en santé et en recherche annoncées par l’administration Trump. Au Canada, des chercheurs surveillent de près la situation, puisqu’une partie de leurs fonds de recherche proviennent d’instituts américains qui sont dans la mire de Donald Trump et d’Elon Musk.
Depuis l’investiture du président Donald Trump, la nouvelle administration américaine a :
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tenté de geler les paiements de subventions fédérales;
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annoncé l’annulation de toute subvention de projets mentionnant des termes associés aux programmes de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI);
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licencié 1200 des 18 000 employés des National Institutes of Health (NIH), la principale agence américaine chargée de la recherche biomédicale et de la santé publique.
Ces gestes ont provoqué une onde de choc dans le monde de la recherche.
L’écho que j’ai de mes collègues américains, c’est que c’est vraiment une destruction programmée du système de recherche
, dit Vincent Poitout, ancien directeur de la recherche et de l’innovation au CHUM et prochain vice-recteur à la recherche, à la découverte, à la création et à l’innovation à l’Université de Montréal.
Dans ce contexte, des chercheurs canadiens craignent que les quelque 40 millions de dollars en subventions de recherche octroyées annuellement au Canada par les NIH puissent être en jeu.
On est dans l’inconnu total
, résume Vincent Poitout, en précisant que les employés des NIH n’ont plus le droit de donner aucune information à ce sujet.
90 projets subventionnés au Canada en 2024
Les NIH sont le plus grand bailleur de fonds de la recherche biomédicale au monde. Chaque année, ils financent la recherche scientifique à hauteur de près de 69 milliards de dollars canadiens. Ils offrent 50 000 subventions à plus de 300 000 chercheurs dans plus de 2500 universités et institutions qui travaillent dans des domaines de recherche tels que le cancer, la santé mentale et les maladies infectieuses.
Environ 650 de ces subventions, totalisant quelque 340 millions de dollars, ont été octroyées à des chercheurs à l’extérieur des États-Unis. L’Afrique du Sud, le Canada et le Royaume-Uni sont les pays qui en ont reçu la plus grande part.
En 2023-2024, l’Université de la Colombie-Britannique a reçu 12,1 millions de dollars des NIH, soit 1,36 % du financement de la recherche de cette institution.
Depuis 2021, 14 chercheurs de l’Université de Montréal et 7 scientifiques affiliés à ses centres de recherche ont obtenu 4,5 millions de dollars pour soutenir 24 projets de recherche.
Environ 2 % du total des fonds de recherche de McGill ont été accordés par les NIH en 2023-2024. Ses chercheurs et ses scientifiques affiliés dirigent actuellement sept projets financés par les NIH. Au cours des dernières années, six chercheurs de l’Université Concordia ont reçu 600 000 $.
Des scientifiques de l’Université du Manitoba, pour leur part, ont reçu plus de 4 millions de dollars des NIH au cours des trois dernières années.

Les National Institutes of Health constituent l’une des plus grandes agences de recherche biomédicale et comportementale du monde financée par des fonds publics.
Photo : Reuters / Gary Cameron
Des collaborations fragilisées
À ce jour, au grand soulagement des chercheurs impliqués, ces subventions ne semblent pas avoir été annulées. Les tribunaux américains ont d’ailleurs temporairement interrompu le gel de subventions des NIH.
Mais pour contourner cette décision, l’administration Trump a suspendu les réunions des comités qui examinent les subventions de recherche, retardant ainsi l’octroi de fonds.
Ces réunions ont graduellement repris, mais l’incertitude plane sur plusieurs fronts.
M. Poitout s’inquiète d’abord du fait que les NIH ont reçu l’ordre de réviser toutes les subventions qui concernent certains thèmes désormais proscrits, comme la santé des femmes et des personnes LGBTQ+.
On parle de projets qui mettent au point des traitements, d’essais cliniques… Ces patients n’auront plus accès à de nouvelles molécules. C’est grave.
L’arrêt de l’évaluation des demandes de subventions – même s’il est temporaire – n’est pas sans conséquence.
Ce processus d’approbation est très complexe
, explique Godfred Boateng, qui participe lui-même à un comité de révision des subventions des NIH. Tout délai peut avoir des impacts sur les travaux de recherche. En attendant des réponses, les chercheurs ne peuvent pas prendre de décisions, comme engager un étudiant à la maîtrise ou au doctorat
, précise ce professeur à l’Université York et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en santé mondiale et humanisme.
De plus, personne ne sait si les subventions, qui sont souvent octroyées sur plusieurs années, continueront de l’être. Ainsi, certains chercheurs devront rapidement trouver une autre source de financement pour pouvoir terminer leur projet déjà entamé, dit M. Poitout. Lui-même attend une réponse des NIH concernant une subvention précédemment approuvée.
C’est aussi le cas de M. Boateng, qui attend une réponse concernant une récente demande de fonds pour la dernière année de son projet de recherche sur les enjeux d’intégration des femmes immigrantes.
La science est de plus en plus collaborative
De nombreux chercheurs canadiens reçoivent également des sous-contrats d’universités américaines financées par les NIH pour réaliser une partie des recherches au Canada.
Par exemple, des chercheurs de McGill collaborent à plus de 80 projets dirigés par des institutions américaines. Ces recherches visent notamment à améliorer les taux de survie de patients atteints de cancers pédiatriques, ainsi qu’à prévenir les troubles neurologiques et du sommeil paradoxal.
La science est de plus en plus collaborative. Donc les sources de financement sont de plus en plus mélangées. On a construit ce système; si on l’arrête du jour au lendemain, on cause des dégâts
, affirme Vincent Poitout.
L’administration Trump a également annoncé des réductions importantes dans le financement de coûts indirects liés aux projets de recherche – une proposition évoquée dans le Projet 2025 du groupe de réflexion de droite Heritage Foundation. Ces coûts incluent les matériaux utilisés dans les laboratoires.
Pour l’instant, cette mesure ne touche pas directement les Canadiens puisque ces frais sont déjà limités à 8 % pour les institutions étrangères.
L’effet sera plutôt indirect, dit Vincent Poitout. Déjà, certaines universités ont commencé à réduire de manière préventive leurs dépenses et ont annoncé un gel des embauches – y compris les contrats aux étudiants aux études supérieures. Ça va avoir un effet considérable ici, parce qu’on est tellement interconnectés
, explique M. Poitout.
C’est d’ailleurs ce qui inquiète Sébastien Sabbagh, directeur du Département des affaires académiques à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM). La collaboration entre chercheurs canadiens et américains est essentielle, selon lui. De nos jours, la recherche, ça se fait sans frontières.
Par exemple, dit-il, l’interdiction aux chercheurs américains de participer à des conférences internationales est un non-sens. Il s’inquiète aussi de la possibilité que de nombreux étudiants perdent leur bourse d’études. Tout ça a un impact sur la richesse de la recherche.

Des manifestants à Washington le 19 février dernier ont dénoncé les compressions dans les départements et institutions fédéraux de santé de l’administration Trump.
Photo : Associated Press / John McDonnell
Un besoin de diversification dans le financement
Dans ce contexte incertain, les chercheurs canadiens devront trouver d’autres sources de financement.
Comme dans d’autres domaines, il va falloir que le Canada retrouve son autonomie.
M. Boateng abonde dans le même sens. La communauté scientifique doit réfléchir attentivement à la diversité des portefeuilles de financement qui soutiennent le type de recherche que nous menons. Ainsi, en cas de difficultés de ce type, nous pourrons toujours soutenir le monde de la recherche.
Le Canada pourrait-il augmenter son appui à la recherche au Canada pour compenser les pertes de fonds provenant des États-Unis? Les partis politiques fédéraux n’ont pas encore révélé si une telle mesure sera incluse dans leur plateforme électorale.
Mais notons que le rapport Bouchard (Nouvelle fenêtre) sur le système fédéral de soutien à la recherche recommande que le Canada augmente le financement des conseils subventionnaires de 10 % par année pour maintenir sa compétitivité à l’échelle internationale.