Plusieurs nouveautés de taille sont à épingler dans le cadre du projet de loi relatif à la contribution de solidarité ficelé par le ministre des Finances, Jan Jambon. À commencer par l’inclusion de certains contrats d’assurance et l’instauration d’une nouvelle “exit tax”.
Il ne s’agit encore que d’un brouillon, loin d’un texte définitif. Les détails pratiques et les arbitrages finaux doivent encore être précisés. D’intenses négociations techniques sont encore à prévoir, et de nombreuses évolutions sont possibles. Un accord définitif sur les modalités de la contribution de solidarité est envisagé pour le 1er juillet 2025. L’entrée en vigueur n’interviendrait qu’au 1er janvier 2026.
Toutefois, les grandes lignes commencent à émerger, et elles suscitent déjà des réactions. Plusieurs évolutions inattendues méritent en effet d’être soulignées dans le cadre de cette première mouture de la contribution de solidarité confectionnée par le ministre des Finances, Jan Jambon, et qui a fuité dans la presse dernièrement. Des orientations qui risquent de ne pas faire que des heureux, si la réforme devait être adoptée en l’état.
1. Les assurances aussi
Comme annoncé, le texte prévoit une taxe de 10% sur les gains réalisés au moment de la vente d’actifs financiers (actions, obligations, fonds de placement, cryptomonnaies, etc.). En ce compris, et c’est une grosse nouveauté par rapport aux discussions initiales, certains contrats d’assurance. Le projet de loi inclut en effet désormais aussi les contrats d’assurance-vie belges (des branches 21, 23 et 26) ainsi que certains contrats luxembourgeois (de la branche 6). En contrepartie, la taxe de 2% sur les primes versées à l’entrée sera ramenée à 0,7%, à partir de 2026. N’empêche, “c’est une petite secousse tellurique pour le secteur des assurances”, tranche l’avocat fiscaliste Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law).
Et pour cause, les rachats, partiels ou totaux, de produits d’assurance de la branche 21, qui proposent un rendement garanti, sont en principe défiscalisés à l’impôt des personnes physiques après huit ans. Passé ce délai, la totalité des intérêts est exonérée de précompte mobilier. La règle est bien connue des épargnants. Quant aux produits plus risqués de la branche 23, dont le rendement est lié aux performances de fonds d’investissement sous-jacents, ils sont en pratique également défiscalisés. “L’instauration de la nouvelle taxe de 10% sur les actifs financiers signera la fin de cette niche fiscale”, résume Denis- Emmanuel Philippe.
2. Régime préférentiel
Conformément à l’accord de gouvernement, le projet prévoit une exonération générale de 10.000 euros par an. Par ailleurs, les plus-values “historiques”, c’est-à-dire réalisées avant l’entrée en vigueur de la nouvelle taxe, ne seront pas prises en compte. Les moins-values restent déductibles, mais pas reportables d’une année à l’autre. Tout cela est bien conforme à l’accord intervenu entre les négociateurs lors de la constitution du gouvernement Arizona.
“Le régime préférentiel lié aux participations importantes semble avoir fait l’objet d’un compromis cherchant à rallier les positions du MR et de Vooruit.”
Le projet clarifie par ailleurs l’exonération prévue pour les plus- values dégagées en cas de revente des plus-values d’une participation substantielle (minimum 20%) dans une entreprise. Pour les actionnaires détenant une participation d’au moins 20%, une exonération allant jusqu’à un million d’euros est prévue, suivi d’un tarif progressif allant de 1,25% à 10%. Mais le seuil de 20% sera désormais évalué de manière globalisée au sein d’une même famille, jusqu’au quatrième degré de parenté. “Les discussions portant sur le régime préférentiel lié aux participations importantes, c’est-à-dire supérieures à 20%, semblent avoir fait l’objet d’un compromis cherchant à rallier les positions du MR et de Vooruit”, juge Grégory Homans, avocat fiscaliste spécialisé dans la planification patrimoniale (Dekeyser & Associés).
Une appréciation globalisée et non plus individuelle du seuil d’activation de ce régime préférentiel est désormais privilégiée. Imaginons, par exemple, le cas d’un père qui détient une participation dans une société familiale à concurrence de 11% et ses deux enfants qui détiennent également chacun 5% de l’entreprise. En cas de vente de leurs participations respectives, ils seraient bénéficiaires du régime préférentiel puisqu’ils sont ensemble titulaires de 21% et que le seuil d’activation de 20% est ainsi acquis.
À noter que le ministre des Finances, Jan Jambon, propose aussi une exonération pour ceux qui conservent leurs actions en portefeuille pendant 10 ans ou plus. Le projet confirme cette exonération, fruit du fameux “accord secret” entre Georges-Louis Bouchez et le Premier ministre. Une proposition qui n’est pas prévue dans le texte initial de l’accord de gouvernement et dont on sait que les socialistes flamands de Vooruit ne veulent pas. “À mon avis, il est fort probable que cette exonération liée à la détention des titres pendant 10 ans passera à la trappe dans le cadre des négociations”, estime à ce propos Denis-Emmanuel Philippe.
3. Adieu taxe Reynders
Autre point important épinglé par Denis-Emmanuel Philippe : la suppression de la taxe qui portait sur les plus-values de certains fonds obligataires, la fameuse taxe dite Reynders. Cette dernière serait supprimée afin d’éviter une double imposition (contribution de solidarité + taxe Reynders). Une disposition plutôt inattendue, mais qui a le mérite d’éviter quelques maux de tête, selon l’avocat de Bloom Law : “C’est une excellente nouvelle”, dit Denis-Emmanuel Philippe.
“D’abord pour le secteur des fonds d’investissement en général, mais aussi pour les banques qui doivent calculer et prélever cette taxe Reynders, ce qui représente un véritable casse-tête. Les avocats fiscalistes vous le confirmeront : les demandes de renseignement et les contrôles concernant le traitement fiscal de produits de rachat de parts de sicav de capitalisation (luxembourgeoises) donnent souvent lieu à un tas de discussions. Le plus souvent, il est quasiment impossible de répondre à l’ensemble des questions posées par les contrôleurs, faute d’informations suffisantes. On peut donc se féliciter de l’abrogation de la taxe Reynders : simplifier la fiscalité des placements, qui est déjà en soi fort complexe, est clairement une bonne chose !”, ajoute Denis-Emmanuel Philippe.
Tout comme Grégory Homans : “C’est également une nouveauté significative, au même titre que l’inclusion des assurances dans le panier d’actifs visés. Il n’a jamais été question jusqu’ici de supprimer la taxe Reynders pour éviter une double imposition des plus-values réalisées lors de la vente de certains produits obligataires. Le texte semble ainsi avoir opté pour une simplification afin d’éviter un travail fastidieux aux comptables et aux banques, lesquelles seraient déjà lourdement sollicitées dans la mesure où il leur appartiendra de prélever directement la contribution de solidarité.”

4. Retenue à la source
Côté pratique des choses, le rôle des banques ne se limitera pas à adresser au client un relevé reprenant les plus-values et les moins-values, en plus des revenus (dividendes et intérêts) générés durant l’année par le portefeuille de titres. Elles devront prélever l’impôt à la source.
Pour Grégory Homans, il s’agit également d’une bonne nouvelle. “Vu le prélèvement automatique de la taxe par la banque, dit-il, l’anonymat du contribuable sera garanti.” Sauf s’il sollicite le bénéfice de l’abattement annuel de 10.000 euros par an et/ou de la déductibilité d’une moins-value pour des titres logés auprès d’une autre banque.”
Avec comme conséquence une perte d’anonymat puisqu’il faudra révéler à l’administration fiscale le patrimoine qui a généré ces plus-values. “Dans la mesure où il appartiendra en effet au contribuable de revendiquer son exonération à hauteur de 10.000 euros par an dans sa déclaration fiscale, il n’est pas exclu que ceci puisse amener certains à s’interroger sur l’opportunité de renoncer à cette exonération et cette déductibilité pour préserver leur discrétion”, confirme Grégory Homans.
5.Taxe à la sortie
Pour les contribuables concernés, c’est le gros point négatif du projet ficelé par Jan Jambon, à savoir l’instauration d’une nouvelle exit tax : en cas de transfert de résidence, ce dernier sera assimilé à une cession à titre onéreux, ce qui déclenchera la taxation des plus-values.
“Les Belges qui pensaient pouvoir échapper à cette nouvelle taxe sur les plus-values en quittant la Belgique risquent d’être déçus.”
Selon Denis-Emmanuel Philippe, c’est la surprise du chef : “Les Belges qui pensaient pouvoir échapper à cette nouvelle taxe sur les plus-values en quittant la Belgique risquent d’être déçus. Le gouvernement a anticipé cette stratégie d’évitement de l’impôt en prévoyant une taxe à la sortie, également dénommée exit tax dans le jargon. La France, les Pays-Bas et l’Allemagne ont aussi introduit une exit tax, qui déclenche la taxation des plus-values latentes sur les actifs financiers lors du transfert de domicile fiscal à l’étranger. La Belgique évite ainsi toute perte de matière imposable. Ce qui est plus surprenant encore, c’est que les donations d’actifs financiers au profit de non-résidents donnent également lieu à une exit tax. Le projet de texte tue ainsi dans l’œuf toute une série d’échappatoires, comme le déménagement ou les donations à des non-résidents”, souligne le fiscaliste de Bloom Law, qui précise qu’une possibilité d’étalement de cette exit tax est toutefois prévue par le projet de loi, afin de se conformer aux libertés européennes de circulation.”
Il n’empêche, le résultat risque de s’avérer lourd sur le plan fiscal pour les contribuables concernés. “Prenez le cas d’une donation d’un portefeuille de titres réalisée par un résident belge en faveur d’un résident français, illustre Grégory Homans. Cette donation pourra être imposée en Belgique en vertu de la résidence du donateur. Elle pourra l’être également en France en raison de la résidence de la personne gratifiée. Par ailleurs, la Belgique s’arrogerait désormais également le droit de percevoir, lors de cette donation, la contribution de solidarité sur les plus-values latentes des titres donnés. Il n’y aurait ainsi pas de potentielle double imposition, mais bien une potentielle triple imposition économique.”