Rembobinons. Il y a une dizaine de jours, l‘ACPR alerte sur l’existence d’un litige opposant Accelerant Insurance Europe, organisme d’assurance belge exerçant en France en libre prestation de services (LPS), à la société de courtage Pilliot Assurances sur la commercialisation de contrats d’assurance automobile, souscrits par des entreprises et des collectivités territoriales.
Dès lors, la machine s’emballe et Accelerant engage une procédure d’urgence.
Jacques Pilliot, 80 ans, un agent général Axa historique
Pilliot, Accelerant : de qui parle-ton ?
Pilliot Assurances, qui affiche 23,4 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023 selon les données disponibles sur Pappers, est une société de courtage du Pas-de-Calais, dont le siège social est basé à Aire-sur-la-Lys, au sein de l’hôtel des Trois mousquetaires.
Son fondateur et président est Jacques Pilliot. Agé de 80 ans, c’est un agent général Axa historique. Le site du courtier indique même qu’il a été le premier agent de France par le volume d’affaires qu’il générait. « Jacques Pilliot, je crains que ce ne soit pas son coup d’essai. Ce sont des gens qui sont connus pour leur comportement », indique un dirigeant du secteur.
Accelerant, assureur américain, est de son côté dirigé par Jeff Radke, qui est CEO et co-fondateur de l’assureur. L’assureur américain souscrit des contrats sous le régime de la LPS. Son bureau européen, situé à Bruxelles, a été créé en novembre 2020. Il est composé de moins de 10 personnes. « La compagnie, il fallait aller la chercher : c’est de la deuxième, voire de la troisième zone. On peut presque dire qu’il y a préméditation », glisse un observateur.
Le président du Tribunal de Commerce de Boulogne-Sur-Mer ordonne à Pilliot de cesser d’émettre tout document en lien avec Accelerant
Le différend est donc porté devant la justice. Le président du Tribunal de commerce de Boulogne-Sur-Mer, Jean-Pierre Braure, statuant en référé, par ordonnance du 24 février dernier, constate qu’« qu’Assurances Pilliot a émis des attestations d’assurance pour le risque automobile au nom d’Accelerant Insurance Europe sans y être contractuellement autorisée ».
Le président du Tribunal de commerce de Boulogne-Sur-Mer a également ordonné « à la société Assurances Pilliot […] de notifier aux clients concernés qu’Accelerant Insurance Europe dénie tout engagement les concernant en matière de risque automobile de sorte que les mémos véhicule, et attestations délivrées […] ne sont pas valides et les risques non couverts ».
Par ailleurs, il est ordonné à Pilliot, « sous astreinte de 100 000 € par infraction constatée, de cesser immédiatement toute émission d’attestations d’assurance ou de tout autre document en lien avec la prétendue souscription d’une assurance automobile auprès d’Accelerant Insurance Europe ».
Pilliot interjette appel de cette décision. L’appel n’étant pas suspensif, l’ordonnance est exécutoire : le courtier doit donc se conformer aux dispositions de la décision de justice évoquée ci-dessus.
Pilliot a émis plus de 75 000 mémos et attestations d’assurance au nom d’Accelerant pour plus de 1000 clients sans émettre matériellement les polices d’assurance, selon l’ordonnance de référé éventée dans un premier temps par News Assurances Pro. En clair : Accelerant n’était pas agréé en France en RC auto. Plus de 75 000 véhicules circulent donc aujourd’hui en France sans assurance valide.
L’ACPR et le Trésor demandent aux assureurs de proposer des solutions pour replacer les contrats
Que faire des contrats et des clients lésés ? L’ACPR et la Direction générale du Trésor indiquent en fin de semaine dernière avoir « sollicité France Assureurs pour inviter ses membres à examiner avec diligence les demandes de couverture qui leur seraient adressées dans ce contexte et fassent leurs meilleurs efforts pour proposer des solutions assurantielles, en cohérence avec leur politique de souscription et leur activité ».
L’agglomération de Grand Guéret annonce être victime d’une escroquerie de la part de Pilliot
L’Agglomération de Grand Guéret (préfecture de la Creuse) a annoncé hier avoir appris, par son courtier en assurance Protectas, qu’elle est victime « d’une escroquerie à l’assurance de la part de l’assurance Pilliot qui concerne ses bus urbains Agglobus », a-t-on appris dans le média La Montagne.
« En conséquence, l’Agglo n’étant pas couverte au titre de la responsabilité civile, les bus des lignes du réseau urbain sont mis à l’arrêt jusqu’à nouvel ordre”, indique la collectivité,. Elle ajoute : “L’Agglo met tout en œuvre pour retrouver une assurance dans les meilleurs délais et recherche des solutions alternatives pour pouvoir assurer le service public des transports au plus vite ».
L’ACPR, une position “étrange” ?
Notons que si l’ACPR, via son communiqué publié après l’ordonnance de référé du Tribunal de commerce de Boulogne-Sur-Mer, a évoqué la nécessité d’une solution de place et alerté en amont sur l’existence d’un différend, l’autorité n’a pas caractérisé les agissements de Pilliot. Ce qui a pu surprendre certains observateurs.
« L’ACPR est là pour ça quand même, je ne sais pas ce qu’ils font », commente un dirigeant de l’assurance, qui regrette que, « malheureusement, ce ne sera pas la dernière fois que ce genre de scénario arrive dans le courtage ».
« La position de l’ACPR est étrange. Elle alerte sur un différend entre Accelerant et Pilliot et précise qu’elle suit la situation avec attention », indique le Medi (Monitoring european distribution of insurance), un observatoire spécialiste des systèmes de distribution de l’assurance et de l’épargne dirigé par Henri Debruyne.
Le Medi développe : « L’Autorité de contrôle précise bien que « à ce jour, Accelerant Insurance Europe n’est pas autorisé à garantir de tels produits d’assurance en France » en l’occurrence de la responsabilité civile auto. Elle indique que cette entreprise belge exerce en France en libre prestation de services (LPS). Or, Accelerant a manifestement établi des relations d’affaires régulières sur le marché français, notamment, avec Pilliot. Elle n’est donc plus dans le cadre de la LPS, mais dans celui de la liberté d’établissement. Cette qualification, qui est une question d’évidence, n’est pas anodine. Elle autorise l’ACPR à engager des actions immédiates pour protéger les intérêts des consommateurs. Or, elle semble se poser en observatrice, considérant peut-être que la Justice étant saisi elle n’a plus à intervenir. »
D’autres acteurs du secteur s’interrogent également : « On reste forcément un peu sans voix sur le fait que le régulateur s’abstienne de toute critique publique du courtier ».
Accelerant dément travailler avec MSI Assurances & Réassurances
Par ailleurs, dans ce tableau déjà compliqué, Accelerant a tenu à apporter une précision en fin de semaine dernière : l’assureur a démenti le fait que MSI Assurances & Réassurances soit son mandataire. « MSI Assurances & Réassurances est le mandataire d’Assurances Pilliot et n’est pas, et n’a jamais été, un mandataire d’Accelerant », indique-t-il. L’assureur semble directement répondre à Pilliot qui a indiqué à News Assurances Pro que MSI Assurances & Réassurances était le mandataire d’Accelerant, et que ces deux étaient responsables de la situation.
Créée en 1996, MSI est présentée sur son site comme une société de courtage en assurance établie en France souscrivant en LPS (libre prestation de service).
Planète CSCA invite dans les plus brefs délais à « contacter ses clients afin de vérifier si leurs risques ont été placés auprès d’AIE via son “soit-disant” délégataire Pilliot Assurances »
Dans un courrier adressé à ses membres que nous avons pu consulter, Planète CSCA indique que, contacté par le président du syndicat, Accelerant Insurance Europe a confirmé qu’il n’existait aucune convention de délégation / partenariat signée avec Pilliot Assurances qui lui aurait permis d’émettre des polices d’assurance auto pour le compte d’AIE.
Planète CSCA invite ses adhérents, dans les plus brefs délais, à « contacter ses clients (collectivités locales, propriétaires de flottes auto…) afin de vérifier si leurs risques ont été placés auprès d’AIE via son « soit-disant » délégataire Pilliot Assurances : si c’est le cas, Planète CSCA enjoint à « cesser immédiatement tout versement et recherche une nouvelle solution d’assurance auprès d’un assureur autorisé à couvrir des risques RC auto sur le territoire français. »