L’énergie noire : une constante cosmologique… du moins c”est ce que l’on pensait
Depuis des années, l’énergie noire est modélisée par la constante cosmologique, un terme introduit par Albert Einstein au début du 20e siècle pour représenter une force mystérieuse censée agir contre la gravité, provoquant alors l’accélération de l’expansion de l’univers.
Dans le cadre du modèle cosmologique standard, connu sous le nom de ΛCDM (Lambda-CDM), qui est le modèle actuellement accepté de la cosmologie moderne, cette constante cosmologique est supposée rester fixe et inaltérée au fil du temps. Et ce pour plusieurs raisons.
Le modèle cosmologique ΛCDM repose sur l’idée que l’univers est homogène et isotrope à grande échelle, c’est-à-dire que ses propriétés sont les mêmes partout et dans toutes les directions, en moyenne. Cette hypothèse est à la base de la cosmologie moderne, qui suppose que l’univers, lorsqu’on le regarde sur de très grandes échelles (des millions, voire des milliards d’années-lumière), présente une distribution uniforme de la matière et de l’énergie, y compris l’énergie noire. Ainsi, il était logique de supposer que l’énergie noire, tout comme la matière ordinaire et la matière noire, serait également répartie de manière homogène dans l’univers.
En outre, à l’époque de la formulation du modèle ΛCDM, les scientifiques n’avaient pas de mécanisme théorique pour expliquer pourquoi l’énergie noire pourrait varier dans le temps ou dans l’espace. En l’absence d’un tel mécanisme, il semblait raisonnable de supposer que l’énergie noire agissait de manière constante partout, comme une “propriété fondamentale” de l’univers, responsable de l’accélération de son expansion.
Un phénomène évolutif ?
Cependant, les découvertes récentes des chercheurs du Dark Energy Survey (DES) suggèrent une toute autre possibilité : l’énergie noire pourrait en réalité évoluer avec le temps.
L’étude a permis de collecter des données à l’aide de la caméra à énergie noire (DECam) de 570 mégapixels, montée sur le télescope de 4 mètres Víctor M. Blanco à l’observatoire interaméricain Cerro Tololo, au Chili. Pendant plus de six ans, les scientifiques ont cartographié une partie de l’univers représentant près d’un huitième du ciel, en utilisant diverses techniques d’observation : des supernovae, des amas de galaxies et la lentille gravitationnelle faible.
Les premières analyses ont mis en évidence des anomalies notables. L’une des principales découvertes est que l’échelle des oscillations acoustiques baryoniques (BAO), qui décrit la distribution des galaxies dans l’univers, semble plus petite que prévu par le modèle ΛCDM. En d’autres termes, la mesure de l’échelle de ces oscillations était inférieure de 4 % par rapport aux prédictions du modèle cosmologique standard. Cette différence, si elle est confirmée, pourrait avoir des conséquences profondes sur la manière dont nous comprenons l’expansion de l’univers.

Crédits : pixelparticle/istock
Les supernovae et les distances cosmiques : un éclairage supplémentaire
En plus des données issues des BAO, une autre mesure essentielle a été fournie par l’étude des supernovae de type Ia. Ces supernovae servent de “chandelles standards”, car elles ont une luminosité intrinsèque connue. Cela permet aux scientifiques de calculer leur distance avec une grande précision. Les résultats de DES, combinés avec les données des supernovae, ont renforcé l’idée que l’énergie noire pourrait être dynamique et non pas une constante cosmologique immuable.
Le Dark Energy Survey a récemment publié un ensemble de données extrêmement détaillées sur les supernovae de type Ia, qui ont permis des mesures très précises des distances cosmologiques. Ces nouvelles découvertes confirment les anomalies observées dans les oscillations acoustiques baryoniques, ajoutant ainsi du poids à la possibilité d’une évolution de l’énergie noire.

La caméra à énergie noire (DECam), fabriquée par le Département de l’Énergie (DOE), est montée sur le télescope Víctor M. Blanco de 4 mètres de l’Observatoire interaméricain de Cerro Tololo (CTIO), dans le centre-nord du Chili. Crédit : DOE/FNAL/DECam/R. Hahn/CTIO/NOIRLab/NSF/AURA
Des implications profondes pour la cosmologie
Si les conclusions du DES sont validées, elles signifieraient qu’une grande partie de notre compréhension de l’univers est en train de se reconfigurer. La constante cosmologique, qui a longtemps été l’un des paramètres fondamentaux dans la cosmologie, pourrait en effet devoir être abandonnée au profit d’une vision plus complexe.
Juan Mena-Fernández, du Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble, évoque déjà une physique au-delà du modèle standard. Selon lui, si ces nouvelles données sont corroborées, cela pourrait ouvrir la voie à une véritable révolution scientifique, remettant en question des idées qui sont considérées comme établies depuis des décennies.
Notez cependant que les résultats actuels du DES ne soient pas encore définitifs, les chercheurs s’attendent à de nouvelles analyses. Des données supplémentaires provenant de sondes comme les amas de galaxies et l’effet de lentille gravitationnelle faible devraient offrir des éclairages complémentaires sur la nature de l’énergie noire.
Pour la communauté scientifique, ces découvertes sont également l’occasion d’explorer de nouvelles avenues théoriques et d’envisager des modèles cosmologiques plus flexibles, capables d’expliquer les anomalies observées. Les prochains mois seront cruciaux pour valider ou non cette nouvelle interprétation de l’énergie noire et, potentiellement, révolutionner notre compréhension de l’univers.
Source : arXiv