June 15, 2025
Technology

après l’hypercroissance, l’âge de raison pour la French Tech ? – L’Express


A l’heure de VivaTech (du 11 au 14 juin), L’Express dresse un bilan de la French Tech en 2025. Après des années d’hypercroissance notamment en 2021 et 2022, des levées de fonds mirobolantes, de créations de “licornes” dorées (entreprises valorisées plus de 1 milliard de dollars) et de fusions-acquisitions multiples, voici venu le temps de la maturité, dans un contexte géopolitique tendu – guerre en Ukraine, arrivée de Donald Trump à la tête des Etats-Unis, dissolution en France, etc. Un recentrage bienvenu pour démontrer la viabilité du modèle économique et se concentrer sur des domaines souvent synonymes de souveraineté : intelligence artificielle, cloud, ordinateur quantique, automobile, commerce hybride, etc. Autant de secteurs où la France peut jouer un rôle majeur face aux mastodontes américains et chinois.

A l’heure où VivaTech, le salon des nouvelles technologies, bat son plein (jusqu’au 14 juin), la French Tech continue de grandir, affichant plus de 18 000 nouveaux emplois créés en 2024, soit une croissance annuelle de près de 6 % selon le baromètre de Numeum, le premier syndicat professionnel des entreprises du numérique en France. Cette hausse, que de nombreuses autres industries peuvent jalouser, masque une réalité plus nuancée. D’abord, la croissance de tout ce secteur est bien inférieure à celles observées en 2023 (+ 9,1 %) et 2 022 (+ 14,4 %). Ensuite, d’autres indicateurs virent à l’orange : le nombre de fusions-acquisitions et d’introductions en Bourse de jeunes entreprises a reculé de 14,5 % l’an passé selon la banque d’affaires Avolta, tandis que 64 défaillances (contre 43 en 2023) ont été constatées d’après le spécialiste de l’analyse des risques ScaleX Invest. Enfin, les levées de fonds marquent également le pas. Au premier trimestre 2025, le cabinet EY estime qu’elles ont atteint 1,4 milliard d’euros, soit une baisse annuelle de 19 %. Après une année 2024 déjà en repli de 7 % (7,77 milliards levés).

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“Actuellement, le climat économique et géopolitique incertain n’est guère propice aux investissements”, assure Véronique Torner, la présidente de Numeum. A quoi il faut ajouter la dissolution de l’Assemblée Nationale en juin de l’année dernière qui a “mis un coup d’arrêt à l’activité, les investisseurs détestant par-dessus tout l’instabilité”, confirme Franck Sebag, associé chez EY. En comparaison, l’Allemagne a ainsi vu le montant de ses levées de fonds bondir de 11 % en 2024, à un niveau désormais très proche de ceux de la French Tech (7,35 milliards d’euros).

La rentabilité comme nouveau mot d’ordre

“N’oublions pas que l’écosystème a connu une progression continue depuis une quinzaine d’années et que l’on sort de deux années anormalement élevées en 2021 et 2022”, nuance Maya Noël, directrice générale de France Digitale, le premier collectif de start-up et d’investisseurs en Europe. A cette époque, les licornes – ces entreprises valorisées plus de 1 milliard de dollars –, se multipliaient au gré des levées de fonds mirobolantes, finançant des expansions souvent au prix de lourdes pertes.

“Mais les arbres ne montent pas jusqu’au ciel et la réalité a fini par rattraper le marché”, constate Pierre-Eric Leibovici, le cofondateur du fonds d’investissement Daphni. Une sorte de crise d’adolescence qui semble aujourd’hui de l’histoire ancienne. “On entre dans une nouvelle logique faite de moins d’hypercroissance et de plus de rentabilité”, résume Franck Sebag.

Après des vagues successives de licenciements (Spendesk, PayFit, OpenClassrooms, Back Market, ManoMano…), l’heure est à la démonstration de la viabilité du modèle économique de la French Tech. Illustration avec Doctolib qui, pour la première fois depuis sa création en 2013, a rendu ses comptes publics. Malgré un résultat négatif de près de 54 millions d’euros, l’éditeur de logiciel médicaux devrait passer dans le vert cette année. Idem pour Swile, le spécialiste des titres-restaurant, qui, en avril, n’a pas manqué de communiquer sur sa première rentabilité. “Elles démontrent que ce sont des entreprises comme les autres”, glisse Pierre-Eric Leibovici.

Dépendance technologique européenne

Le robinet des financements ne s’est toutefois pas tari pour deux grandes catégories de start-up. D’une part, les sociétés qui reposent sur des avancées scientifiques majeures. Les trois principales levées de fonds du premier trimestre ? Loft Orbital (170 millions d’euros), spécialiste de l’infrastructure spatiale, Alice & Bob (100 millions), qui planche sur l’informatique quantique, et GravitHy (60 millions), pionnière dans la production de fer bas-carbone.

Second segment clef : l’intelligence artificielle. Avec des jeunes pousses tricolores prometteuses comme H, Poolside, Dust, Photoroom ou l’incontournable figure de proue Mistral AI. En à peine un an, cette dernière a rassemblé pas moins de 1 milliard d’euros pour financer son développement. Suffisant ? Pas sûr par rapport aux 7 milliards de dollars amassés ces derniers mois par sa rivale américaine Anthropic et surtout les 40 milliards de dollars annoncés en avril par OpenAI (mère de ChatGPT). Plus globalement, en 2024, on recensait près de 38 milliards de dollars de financement pour les entreprises américaines d’IA générative contre à peine 4 milliards en Europe. “On n’est pas du tout au niveau, s’inquiète Franck Sebag. S’il n’y a pas une prise de conscience, on va revivre pour l’IA ce qu’il s’est passé pour la transformation numérique.” Sous-entendu : une domination des solutions outre-Atlantique et une dépendance technologique du Vieux Continent. Ainsi, selon une estimation du cabinet Asterès pour le club informatique des grandes entreprises françaises (Cigref), 80 % des dépenses liées aux logiciels et aux services cloud à usage professionnel en Europe finissent dans les poches d’entreprises américaines, soit un beau pactole de 265 milliards d’euros !

“Il n’est pas trop tard mais rien n’est plus risqué que l’immobilisme”, tonne Damien Lucas, directeur général du fournisseur de solutions cloud français Scaleway. Il faut dire qu’entre la pandémie, la guerre en Ukraine et les menaces compulsives de Donald Trump, les temps ont changé : l’enjeu de souveraineté devient aujourd’hui prégnant.

Sursaut collectif

“C’est la première fois que je ressens autant d’alignement avec nos voisins, notamment les Allemands”, constate Maya Noël. De ce point de vue, le rapport Draghi publié en septembre dernier, pointant un décrochage de la compétitivité européenne, a fait figure d’électrochoc. Dans la foulée, la Commission européenne a émis une proposition afin de créer un “28e régime”, un statut commun pour l’ensemble des start-up du continent, avec un droit du travail et fiscal simplifié, dans le but de faciliter leur expansion. “Ce qui apparaissait comme une utopie il y a quelques années devient réaliste aujourd’hui”, se réjouit la directrice de France Digitale. Autre avancée significative mais à un niveau national : le rapprochement entre start-up et grands groupes. En juin 2023, était lancée l’initiative “Je choisis la French Tech” afin de doubler la commande publique et privée auprès des jeunes pousses. Bilan ? Huit grands groupes (CMA CGM, EDF, FDJ, Orange, ADP, SNCF, Axa et BPCE) comptent y apporter 685 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici 2027.

Enfin, une académie a même été développée en février dernier sur la plateforme OpenClassrooms pour apprendre à décrocher des marchés publics. Ce qu’ont déjà réussi le “néoassureur santé” Alan auprès des 60 000 fonctionnaires du ministère de la Transition écologique et IA Mistral avec le ministère des Armées ou France Travail. Une institutionnalisation, preuve d’une nouvelle forme de maturité pour la French Tech.





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