«Est-ce que nous vivons dans un monde plus dangereux ? Je n’en sais rien. Mais nous vivons certainement dans un monde plus incertain.» Invité ce matin par l’Association Europe-Finances-Régulations (AEFR), think tank spécialiste des évolutions des marchés financiers, Frédéric de Courtois, directeur général adjoint d’Axa et président de la fédération européenne de l’assurance, Insurance Europe, a livré son analyse de la position de l’assurance européenne sur l’échiquier mondial. Un secteur « encore puissant », mais confronté à des transformations profondes, entre pressions concurrentielles, révolution technologique et révisions incessantes des cadres réglementaires. «Notre job dans l’assurance, ce n’est pas de faire des prévisions, a-t-il nuancé. C’est de faire du risk management, pour bien brosser l’ensemble des scénarios.»
Frédéric de Courtois souligne les écarts croissants entre l’assurance européenne et les autres secteurs financiers mondiaux. «En assurance, deux des cinq plus grandes sociétés mondiales sont européennes. Ce n’est pas le cas dans la banque, où les grandes sociétés sont presque toutes américaines.» Mais cette avance relative est fragile, et doit être préservée.
Des institutions européennes qui produisent de la norme
L’un des grands freins, selon le président d’Insurance Europe, reste la compétitivité européenne. «La bonne nouvelle, c’est que tout le monde s’accorde à dire que l’Europe a un problème de compétitivité, estime-t-il. La moins bonne, c’est qu’il n’est pas facile à résoudre.» L’industrie de l’assurance, insiste-t-il, «fait partie de la solution» aux yeux de la Commission et du Parlement.
Pour plus de compétitivité, le secteur de l’assurance a d’abord besoin d’un environnement mieux adapté, selon Frédéric de Courtois. «Nous avons des institutions dont le rôle principal est de produire de la norme. Et aujourd’hui, il faut admettre que faire de l’Europe un moteur économique, c’est un autre métier.» Le rapport de Mario Draghi sur la compétitivité européenne, remis en septembre dernier à Ursula von der Leyen va dans ce sens. « A 27, c’est difficile d’atteindre un consensus. Je le vois bien, même dans une association européenne comme Insurance Europe. De temps en temps, un peu de top-down peut permettre d’accélérer. »
Pour plus de produits d’épargne longs
Les priorités stratégiques du secteur de l’assurance européenne s’articulent autour de trois grands piliers. Le premier objectif des assureurs européens est de contribuer à la Capital Markets Union (CMU). « C’est le grand sujet en Europe aujourd’hui, assure Frédéric de Courtois. Nous ne disposons pas d’assez de financement et de produits d’épargne longs. Nous devons être en capacité de mieux financer l’économie réelle, de prendre des risques de long terme. Or, la réglementation, telle qu’elle est conçue, ne nous y aide pas.»
La capitalisation permet d’investir dans des actifs risqués et longs. « La grande idée serait de faire une Europe de la capitalisation, résume le directeur général adjoint d’Axa. Une idée qui, en France, fait débat. Pourtant, elle peut être complémentaire à la retraite par répartition. Nous savons qu’il va y avoir un problème de financement. » Car derrière le financement des retraites, il y a le sujet du vieillissement et de la dépendance. « La dépendance reste un non-dit en France. C’est un très grand sujet que nous n’arrivons pas à traiter. Nous avons peu de certitudes, mais pourtant nous avons des quasi-certitudes démographiques. »
Climat et data, des priorités stratégiques pour le secteur
Un deuxième enjeu est celui des catastrophes naturelles, avec une sinistralité en forte hausse. Or l’assurance ne pourra pas, seule, couvrir l’ensemble des risques climatiques à venir. « C’est un sujet qui n’est pas traité à l’échelle européenne. Il faut organiser une forme de mutualisation à l’échelle européenne. Sinon, certains territoires ne seront plus assurables.»
Un troisième sujet touche aux données et à l’intelligence artificielle. « Le “fioul” de l’assurance, ce sont les données, c’est ce qui nous permet d’être compétitif », estime le DGA d’Axa. «Nous avons, en tant qu’assureurs, une responsabilité dans l’usage éthique et transparent des données. Mais encore faut-il y avoir accès.» Sans accès équitable à la donnée, les assureurs européens risquent d’être marginalisés par des acteurs technologiques beaucoup mieux dotés.
Une transformation assumée chez Axa
Face à ces défis, le groupe Axa a redéfini ses priorités. «Nous sommes passés d’un modèle assez dispersé à un modèle plus concentré sur nos forces.» L’ambition : faire d’Axa un acteur globalement plus cohérent et plus lisible, avec une priorité donnée à la rentabilité et à la simplicité opérationnelle.
Sur le plan des activités, le groupe assume un recul sur certains segments traditionnels du BtoC, au profit de solutions pour les entreprises. Ce recentrage s’est accompagné d’un choix stratégique fort : la sortie progressive du métier de la gestion d’actifs. «Le groupe Axa est seulement un assureur, et n’est plus un gestionnaire d’actif depuis le mois de juillet. Nous avons cédé nos participations dans Axa Investment Managers. Ce n’est plus un axe prioritaire.»
Sélectivité géographique et transformation des réseaux
Sur le plan géographique, le groupe opère désormais une stratégie d’implantation beaucoup plus sélective, et privilégie l’Europe occidentale, le Japon, Hong Kong, et une quinzaine de pays émergents. La logique suivie : se renforcer sur les marchés stratégiques et abandonner ceux où la taille critique ou la rentabilité ne sont pas atteignables. L’Italie et l’Allemagne restent des cœurs de marché, tandis que la présence dans certains pays émergents est revue à la baisse. L’assureur a renoncé à des marchés tels que celui de l’assurance vie aux États-Unis, par exemple, où il estime ne pas pouvoir être compétitif.
Enfin, Axa continue de transformer ses réseaux de distribution, mais en douceur. « Il y a vingt ans, les grands cabinets de conseil prédisaient la disparition des agents et des courtiers, au profit de la distribution de produits d’assurance en direct. Aujourd’hui, les agents et les courtiers n’ont jamais été aussi prospères. Nos clients ont besoin de bons conseils, venant de personnes en qui ils ont confiance. » Cependant, la distribution directe se développe elle aussi. Le groupe Axa développe ainsi une stratégie multicanale et hybride. « Ce n’est pas simple : il faut accompagner les agents, former, et digitaliser.»