La nouvelle a fait bondir de 7 % le cours de BP à la Bourse de Londres. Lundi 10 février 2024, Le Wall Street Journal a annoncé que le fonds activiste Elliott Management avait pris une participation dans le groupe pétrolier. Pourtant, l’héritière de l’Anglo-Persian Oil Company est dans une mauvaise passe depuis plusieurs années. En 2024, le groupe a réalisé un bénéfice net de 381 millions de dollars (457 millions d’euros), soit une chute vertigineuse de 97 % par rapport à l’année précédente. Mais l’arrivée au capital d’Elliott Management, si elle se confirme, pourrait bien infléchir la courbe.
Connu pour ses prises de participation dans des entreprises en difficultés, le fonds activiste a pour habitude de pousser les sociétés à mettre en place des mesures énergiques pouvant aller jusqu’au démantèlement, à la scission ou encore au remplacement des dirigeants. Près de cinquante ans après sa création en 1977 par Paul Singer, le hegde fund peut aujourd’hui compter sur près de 70 milliards de dollars d’actifs sous gestion, acquis au fil d’investissements risqués mais qui ont marqué l’histoire de l’activisme financier. Florilège.
Une influence forte sur la gouvernance des entreprises
L’une des récentes « prises » phare d’Elliott Management a eu lieu en janvier 2024, lorsque le fonds a pris une participation à hauteur de 10 % dans Match Group (Tinder), soit près de 1 milliard de dollars. Le géant du dating a vite cédé aux demandes du fonds d’investissement en nommant deux nouveaux membres à son conseil d’administration et Faye Iosotaluno (ex-directrice opérationnelle) à la tête du groupe. Le tout, dans l’espoir d’enrayer la chute des clients payants, 6 % en moins au premier trimestre 2024.
Tout juste un an auparavant, c’est dans le secteur des logiciels que le fonds de Paul Singer avait réalisé un tour de force, en augmentant fortement sa participation au capital de l’éditeur Salesforce, qui atteint désormais plusieurs milliards de dollars. Là encore, la montée en puissance du poids lourd des fonds activistes au capital de la société touchée par le ralentissement de son activité a coïncidé avec un changement radical de stratégie. Une coupe de 10 % dans les effectifs a été annoncée, pour un plan social coûtant entre 1,4 et 2,1 milliards de dollars.
Avant les entreprises, Elliott Management a fait ployer des Etats
Mais avant de commencer à s’inviter au capital des entreprises en 2004, Elliott Management avait pour cible les dettes souveraines. L’un de ses faits d’armes marquants remonte à 1996, au Pérou. Après un défaut sur sa dette en mai 1983, le pays d’Amérique du Sud était en pleine négociation sur sa restructuration.
C’est ce moment que le « fonds vautour » a choisi pour acquérir – à moitié prix – 11,4 millions de dollars de dettes de banques péruviennes garanties par l’Etat. Fort de cette prise de participation, Elliott Management refuse de prendre part à la restructuration et au terme de plusieurs actions en justice, en septembre 2000, obtient 56,3 millions de dollars de la part de l’Etat péruvien. C’est ce bénéfice record qui a fait la renommée du fonds. Il s’est par la suite attaqué à d’autres dettes souveraines, comme celle du Congo dans les années 2000 et celle de l’Argentine en 2014.
La LME fait ployer l’ogre américain
Mais le hedge fund n’est pas encore tout-puissant, comme aiment à lui rappeler les institutions financières. En mars 2022, 11 jours après le début de l’invasion russe en Urkaine, le cours du nickel explose, en raison de l’importante production russe de ce métal. En deux mois, le prix du métal est ainsi multiplié par cinq, pour atteindre 100 000 dollars, ce qui conduit de nombreux spéculateurs à se précipiter pour liquider leurs positions.
Face à cette situation chaotique, la Bourse des métaux de Londres (LME) décide d’annuler les ordres passés entre le 7 et le 8 mars, afin d’éviter la faillite de certains investisseurs. Flairant la bonne affaire, Elliott Management décide d’intenter une action en justice contre la LME et lui réclame 450 millions de dollars de dommages et intérêts pour usage d’une méthode illégale. Mais un an et quelques mois plus tard, en novembre 2023, le fonds activiste connaît un sérieux camouflet. La Haute Cour du Royaume-Uni statue en faveur de la LME.
En 2024, bataille perdue contre l’AMF
Quelques mois plus tard, c’est contre l’Autorité des marchés financiers (AMF) que l’ogre américain perd une nouvelle bataille juridique. En avril 2024, et bout de quatre ans de procédure, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par Elliott Management dans l’affaire XPO-Norbert Dentressangle. En 2015, le fonds activiste prend possession de 9 % du capital de Norbert Dentressangle et apporte ensuite ses titres à l’OPA de l’américain XPO sur le transporteur français.
A l’époque, le fonds déclare des positions en « contract for difference » (CFD) à dénouement en espèces. Mais pour l’AMF, il s’agit d’ « equity swaps », ce qui conduit l’institution à intenter un procès contre Elliott Management pour non-respect de la réglementation boursière. En 2020, le fonds est condamné à payer 20 millions d’euros au Trésor public, montant réduit à 18,5 millions en 2022 par la cour d’appel de Paris. Une condamnation confirmée deux ans plus tard par la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français.
Mais malgré quelques revers, Elliott Management reste l’acteur incontournable de l’activisme financier, avec pas moins de 15 campagnes lancées en 2024 selon un rapport de la banque Lazard, loin devant les huit campagnes de Starboard Value, 2e au classement. L’année a été riche en opérations pour Paul Singer, entre Match Group, Southwest Airlines et Starbucks, entre autres. Et la prise de participation récente dans BP signe un début d’année sur les chapeaux de roues.