Pendant qu’il était à la tête de Brookfield Asset Management, Mark Carney a personnellement coprésidé deux fonds d’investissement dans les secteurs de la transition énergétique et de l’économie à zéro émission nette, d’une valeur totale de 25 milliards de dollars.
Les visées des fonds étaient environnementalistes, alors que Brookfield affirmait qu’ils serviraient à financer l’utilisation de sources d’énergie propre et à accélérer l’utilisation de solutions durables.
Selon des informations colligées par Radio-Canada, toutefois, ces fonds ont notamment été enregistrés aux Bermudes afin de permettre à des investisseurs d’utiliser un territoire qui offre d’importants avantages fiscaux aux compagnies.
Les entreprises dans le domaine de l’investissement peuvent en effet créer des entités dans divers territoires pour attirer des investisseurs, qui paient ensuite leurs impôts selon les lois fiscales en vigueur dans chaque territoire.
Mark Carney est maintenant le premier ministre du Canada et il dirige le Parti libéral du Canada dans le cadre des élections fédérales qui auront lieu le 28 avril.
Les fonds créés lors de son passage chez Brookfield sont le Brookfield Global Transition Fund (15 milliards $) et le Brookfield Global Transition Fund II (10 milliards $), lancés respectivement en 2021 et en 2024.
Selon le registre des entreprises de l’Ontario, ces fonds ont notamment été enregistrés aux Bermudes sous les noms de BGTF Bermuda GP Ltd. et de BGTF II Bermuda GP Ltd.
Dans les deux cas, le registre provincial indique que l’autorité législative responsable
des fonds est située aux Bermudes.
La structure juridique des fonds est complexe et touche de nombreux autres territoires.
Des questions soulevées
Toutefois, des experts affirment que leur présence aux Bermudes soulève des questions quant à l’approche de Mark Carney en matière de fiscalité.
Plusieurs compagnies le font, mais Brookfield est un des plus gros utilisateurs de ce genre de stratagème
, affirme Silas Xuereb, analyste politique au sein du groupe Canadiens pour une fiscalité équitable.
Silas Xuereb est analyste politique au sein du groupe Canadiens pour une fiscalité équitable.
Photo : Photo fournie par Silas Xuereb
Il dit souhaiter que le prochain gouvernement fédéral s’attaque aux paradis fiscaux, notamment en mettant fin à des ententes bilatérales avec des pays comme les Bermudes et en renforçant les traités internationaux pour enrayer l’évasion fiscale.
Silas Xuereb convient qu’il peut sembler ironique
que des fonds dans le domaine environnemental aient été inscrits dans des paradis fiscaux.
Il ajoute que Mark Carney était nécessairement motivé par des questions de rentabilité dans le secteur privé, mais espère qu’il aura de nouveaux objectifs en politique active
.
Dans une déclaration faite en 2024, M. Carney a indiqué que la stratégie du Brookfield Global Transition Fund vise à offrir aux investisseurs de solides rendements financiers ajustés au risque et à avoir un impact environnemental significatif pour les populations et la planète
.
Le PLC refuse de commenter
Le député conservateur Michael Barrett demande à Mark Carney d’expliquer l’utilisation d’entités étrangères par Brookfield.
Celui-ci doit expliquer aux Canadiens pourquoi il a utilisé des comptes à l’étranger pour éviter de payer des impôts sur les fonds qu’il a créés et gérés. Les Canadiens méritent un chef qui place le Canada d’abord
, a lancé Michael Barrett dans une déclaration écrite.
Le député conservateur Michael Barrett
Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick
Selon des communiqués de presse produits par Brookfield à l’époque, les deux fonds BGTF et BGTF II étaient cogérés
par Mark Carney. L’autre gestionnaire des fonds était Connor Teskey, PDG d’Énergie Renouvelable Brookfield.
Un porte-parole du Parti libéral du Canada a affirmé que Mark Carney ne répondrait pas aux questions sur ses activités alors qu’il travaillait chez Brookfield.
M. Carney a travaillé pour Brookfield d’août 2020 à janvier 2025 et n’est plus impliqué au sein de la firme depuis. Toute question spécifiquement en lien avec Brookfield devrait être envoyée directement à la firme
, a déclaré Mohammad Hussein, du PLC.
Des investissements en forte hausse
Situées au milieu de l’Atlantique, les Bermudes se classent parmi les plus importants paradis fiscaux du monde. Les investissements du Canada vers ce pays sont passés de 10 milliards de dollars en 2011 à plus de 130 milliards de dollars en 2023.
Vue du port de Hamilton, capitale des Bermudes
Photo : iStock
La question des paradis fiscaux, qui offrent des taux d’imposition moins élevés que ceux du Canada et de nombreux autres pays, est un enjeu qui soulève les passions en politique fédérale.
L’ancien chef libéral et premier ministre Paul Martin avait notamment fait les frais du débat entourant les paradis fiscaux, du fait que son entreprise dans le transport maritime en faisait usage.
Dans un rapport publié en 2023, le Centre for International Corporate Tax Accountability and Research a critiqué les politiques fiscales de Brookfield, y inclus l’utilisation d’entités aux Bermudes.
La firme a répondu qu’elle se conformait à toutes les règles fiscales, expliquant que l’entreprise gère notamment d’importantes compagnies dans le domaine des infrastructures, qui paient leurs impôts dans le territoire où elles se trouvent.
Nous tenons également à souligner que les pays du monde entier ont des taux d’imposition des sociétés très différents et offrent d’importants incitatifs fiscaux à l’investissement, par exemple dans des secteurs tels que l’énergie renouvelable, dans lesquels Brookfield est un leader mondial reconnu
, expliquait alors la firme.
Dans un communiqué de presse publié au début du mois, le Nouveau Parti démocratique a affirmé que l’utilisation de paradis fiscaux par Brookfield Corporation aurait fait perdre des milliards de dollars en impôts sur les sociétés.
Selon la députée néo-démocrate Niki Ashton, Mark Carney doit avouer son rôle dans les pratiques d’exploitation de Brookfield pour éviter de payer ses impôts au Canada, alors que les travailleurs canadiens paient les leurs
.
