January 23, 2025
Energy

L’uranium africain, grand gagnant du regain d’intérêt pour le nucléaire


(Agence Ecofin) – En Mauritanie, la société australienne Aura Energy doit prendre une décision finale d’investissement d’ici fin mars 2025 pour sa mine d’uranium Tiris. Loin d’être isolé, ce projet s’inscrit dans une tendance globale en Afrique, où plusieurs propriétaires de projets d’uranium veulent rouvrir des mines fermées ou accélérer le développement de nouveaux  projets. Un seul objectif pour ces investisseurs : profiter du regain d’intérêt pour le nucléaire dans le monde, et surfer sur la hausse de la demande d’uranium qui en résulte.

La mine namibienne de Langer Heinrich illustre bien l’impact en Afrique de la nouvelle dynamique sur le marché mondial de l’uranium. Son propriétaire Paladin Energy a redémarré la production d’uranium en 2024, après avoir placé la mine en régime de maintenance et entretien en mai 2018. La compagnie australienne abdiquait ainsi face à la tendance baissière des prix et de la demande mondiale d’uranium, qui a commencé peu après la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon en 2011. L’accident a en effet refroidi les ambitions de plusieurs pays en matière de production d’énergie nucléaire et donné du grain à moudre aux détracteurs du nucléaire civil. En Allemagne, par exemple, la chancelière Angela Merkel a décidé dès mai 2011 d’accélérer la fermeture des centrales nucléaires. Moins d’un an auparavant, le gouvernement avait pourtant annoncé un plan de prolongation de la durée de vie de ces installations. Avec la crise énergétique accentuée par le conflit russo-ukrainien en 2022-2023, le nucléaire est revenu progressivement au centre de l’attention. Fin 2023, une vingtaine de pays réunis à la COP28, dont les États-Unis et la France, ont ainsi appelé à tripler la capacité d’énergie nucléaire dans le monde d’ici 2050, comparativement aux niveaux de 2020. Cette annonce a coïncidé quelques jours plus tard avec un pic historique pour le prix de l’uranium au comptant, qui a franchi la barre des 100 dollars la livre début janvier 2024, une première depuis 2007.

 

Cette annonce a coïncidé quelques jours plus tard avec un pic historique pour le prix de l’uranium au comptant, qui a franchi la barre des 100 dollars la livre début janvier 2024, une première depuis 2007.

Cette performance est venue couronner une année 2023 durant laquelle le prix du combustible nucléaire a pratiquement doublé. Il faut dire que la demande augmente dans un contexte où l’offre mondiale est limitée, en raison de la fermeture de plusieurs mines durant la période de baisse des prix. Rien qu’en 2024, la base de données de la World Nuclear Association (WNA) montre que trois pays ont lancé la construction de 9 centrales nucléaires, pour une capacité cumulée d’environ 10 000 MWe. La même année, 7 centrales nucléaires sont entrées en service, dont celle de Flamanville en France. Ces nouvelles installations contribuent à alimenter la demande d’uranium, qui devrait augmenter de 28 % entre 2023 et 2030, puis de 51 % entre 2031 et 2040, d’après la WNA.

Satisfaire la demande : la Namibie en locomotive

À chaque cycle de hausse des prix des matières premières produites en Afrique, la question des retombées pour les économies locales des pays producteurs se pose. La récente hausse du prix de l’uranium n’échappe pas à cette règle, et le redémarrage de la mine Langer Heinrich apporte un début de réponse. Selon les plans de Paladin Energy, sa mine en Namibie devrait livrer 3 à 3,6 millions de livres d’uranium pour l’exercice 2025, s’achevant en juin 2025. Sur un an, c’est donc 1300 à 1600 tonnes qui devraient s’ajouter à la production d’uranium de la Namibie (premier producteur du combustible en Afrique), qui a atteint 8283 tonnes en 2023.

Après une hausse de 24,5 % en 2023, la production namibienne devrait encore croître significativement en 2025 et dans les années à venir, portée par de nouvelles mines d’uranium.

Après une hausse de 24,5 % en 2023, la production namibienne devrait encore croître significativement en 2025 et dans les années à venir, portée par de nouvelles mines d’uranium.

L’australien Deep Yellow prévoit ainsi d’ouvrir la quatrième mine d’uranium de Namibie. Le feu vert pour les travaux de construction est attendu pour mars 2025, et la mine Tumas devrait entrer en service fin 2026. Selon l’étude de faisabilité publiée en décembre 2023 par Deep Yellow, la mine Tumas peut livrer annuellement 3 millions de livres d’uranium sur plus de 22 ans.

Toujours en Namibie, signalons le développement du projet Etango par Bannerman Energy. Cette future mine d’uranium, pour laquelle une décision finale d’investissement est attendue en 2025, peut livrer 52,6 millions de livres d’uranium sur 15 ans. La mise en service de ces différents projets peut aider la Namibie à doubler sa production d’uranium d’ici la fin de la décennie, par rapport à la production de 2022.

Le Niger veut se repositionner

Autrefois premier producteur africain d’uranium, le Niger a perdu sa place de leader au profit de la Namibie. En 10 ans, la production d’uranium a baissé de plus de 50 %, passant de 4518 tonnes en 2013 à 2020 tonnes en 2022, selon les chiffres de la WNA. Pour espérer retrouver son rang, le Niger peut s’appuyer sur le regain d’intérêt mondial pour l’uranium afin de développer de nouvelles mines ou relancer des projets suspendus.

En 2024, la Société des mines d’Azelik (Somina) a ainsi annoncé la reprise de ses activités, après les avoir suspendues  en 2014 à cause de la chute des cours mondiaux de l’uranium. « La situation étant aujourd’hui favorable, la Somina envisage de reprendre la production d’uranium », a indiqué en mai dernier la télévision publique nigérienne.

« La situation étant aujourd’hui favorable, la Somina envisage de reprendre la production d’uranium », a indiqué en mai dernier la télévision publique nigérienne.

Dans le même temps, l’État nigérien a décidé de reprendre le contrôle de la seule mine d’uranium en activité, celle exploitée par la Société des Mines de l’Aïr (Somaïr), filiale d’Orano. Niamey a écarté le groupe français de la gestion de la mine il y a quelques semaines, après avoir bloqué les exportations d’uranium durant toute l’année. Le gouvernement a aussi repris à Orano le projet Imouraren, dont le développement est attendu depuis 2009. De la même manière, le canadien GoviEx Uranium a perdu les droits miniers sur son projet Madaouela.

Alors que ces projets sont désormais dans le « domaine public », selon le gouvernement, des accords pourraient être conclus avec les nouveaux partenaires du Niger, notamment la Russie et la Turquie, pour permettre l’exploitation de ces gisements. En juillet 2024, le gouvernement nigérien a signé un accord avec la Turquie qui prévoit que « toutes les facilités seront accordées » aux entreprises turques souhaitant investir dans le pays.

Alors que la Turquie cherche à sécuriser l’approvisionnement en uranium pour son industrie nucléaire naissante, il faudra voir dans quelle mesure le Niger peut utiliser cet intérêt pour augmenter sa production. La compagnie nucléaire russe Rosatom cherche aussi à exploiter l’uranium nigérien, en reprenant notamment les actifs d’uranium que Niamey a retirés à Orano, selon des sources citées par Bloomberg.

La diversification de l’offre africaine d’uranium s’accélère

Si la Namibie et le Niger sont les deux principaux producteurs africains d’uranium, ils ne sont pas les seuls pays du continent à héberger des réserves de cette ressource essentielle à l’industrie nucléaire. Qu’il s’agisse de la Tanzanie, de la Mauritanie ou du Malawi, les investisseurs étrangers veulent profiter du regain d’intérêt pour l’uranium afin de développer de nouvelles mines.

Concernant ces nouveaux projets, Aura Energy semble avoir pris une longueur d’avance avec son projet Tiris en Mauritanie, mentionné plus haut. L’entrée en production de la première mine d’uranium de Mauritanie est en effet prévue pour fin 2026 ou début 2027. La production annuelle attendue à Tiris est de 2 millions de livres sur une période de 25 ans, dans le scénario de référence. La société a étudié des options alternatives permettant d’atteindre une production annuelle d’environ 4 millions de livres pendant 16 ans.

L’entrée en production de la première mine d’uranium de Mauritanie est en effet prévue pour fin 2026 ou début 2027.

Le Botswana cherche aussi à rejoindre le cercle des producteurs africains d’uranium, notamment avec le projet Letlhakane piloté par Lotus Resources. Selon une étude exploratoire publiée le 19 septembre, la future mine pourra livrer en moyenne 3 millions de livres d’uranium par an sur une durée de vie de 15 ans. En fonction de l’évolution à la hausse des prix de l’uranium, la production totale pourrait augmenter à 65 millions de livres d’uranium sur 22 ans.

La hausse des prix et de la demande a aussi incité Lotus à racheter au Malawi la mine Kayelekera, qui a déjà produit de l’uranium entre 2009 et 2014, avant d’être fermée à cause de la baisse des prix. Située à 650 km au nord de la capitale Lilongwe, la mine peut encore livrer 19,3 millions de livres d’uranium pendant 10 ans. La compagnie a déjà obtenu le financement pour les travaux de construction et prévoit de rouvrir la mine en 2025.

Emiliano Tossou





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